L’association Les Hacktivateurs a été créée en décembre 2015 par des makers qui voulaient faire découvrir, promouvoir et encourager l’intrapreneuriat et le « Corporate Hacking » avec deux principes fondateurs : la bienveillance et l’intelligence collective.
Aujourd’hui forte de plus 180 membres réunis en plusieurs collectifs régionaux, il est évident qu’elle ne vise pas à créer une doctrine et à promouvoir un message univoque. Bien au contraire, l’association encourage le débat, la confrontation d’idées dans une intention de nourrir la réflexion et également de ressourcer ses membres qui peuvent se fatiguer des tensions qu’ils rencontrent sur leur lieu de travail.
Le post de Philippe Silberzahn “Transformation: votre entreprise ne sera pas sauvée par le corporate hacking” nous a naturellement interpellé, voici quelques réflexions qui peuvent, nous l’espérons, faire avancer le débat.
Pour commencer, il faut rappeler le contexte dans lequel se trouvent beaucoup d’entreprises aujourd’hui, qui subissent les assauts de nouveaux concurrents et ne savent pas forcément comment changer pour survivre ou s’adapter. Leurs tentatives maladroites se heurtent à la fameuse résistance au changement. Elles ont des difficultés à se réinventer, mais aussi à structurer ou pérenniser des programmes et des espaces d’innovation.
En parallèle, on constate que de plus en plus de salariés vivent mal leur travail (suivant les sources, on peut estimer que plusieurs centaines de milliers de personnes sont en dépression principalement du fait de difficultés au travail (1)). Au quotidien, on voit les effets dévastateurs des injonctions paradoxales (« soyez autonomes, mais je vous dis comment travailler » ou « innovez mais ne faites pas d’erreurs »), des processus qui créent un carcan terrible, du management par la peur et de toutes les choses qui font que les salariés investis ont de plus en plus de mal à faire leur travail.
C’est dans ce contexte qu’il faut situer la démarche des Hacktivateurs et plus généralement du Corporate Hacking. Nous formons donc une communauté de pratique et nous ne nous positionnons pas dans une approche théorique. Nous n’avons pas de prétentions mais des convictions, d’ailleurs pas toujours homogènes et convergentes comme nous allons le voir.
Donc, nous ne disons pas que le Corporate Hacking va sauver l’entreprise, en revanche l’existence de ce type de collectif peut en effet permettre de s’interroger sur l’entreprise telle qu’elle est et non pas telle qu’elle devrait être.
Si nous en revenons à la nature de Corporate Hacking, nous voyons très vite que nous avons des divergences au sein même de l’association sur la définition et la manière de le caractériser.
- Pour certains, il s’agit de suivre sa vision, son intuition pour créer de la valeur et ainsi être capable de s’affranchir de rigidités managériales ou culturelles.
- Pour d’autres, comme Aleksandra Jezewski – pourtant membre active de l’association 🙂 – le Corporate Hacking n’existe pas car cette pratique perd son sens dès que l’on cherche à l’institutionnaliser,
- Certains s’interrogent sur la coexistence de hacking bienveillant ou non, ce qui reprend la critique de Philippe: “Au nom de quoi prétend-il savoir ce qu’il faut faire ?”. Peut-être parce qu’ils subissent les processus absurdes et les injonctions paradoxales. L’injonction d’innover ou de se transformer sont arrivées bien avant que l’entreprise mette en oeuvre les conditions qui permettent l’innovation ou le changement.
- D’autres cherchent à appliquer les dogmes de la culture digitale où le hacking montre autant ses vertus (le détournement créatif) que ses dérives (le cracking = le hacking malveillant).
- Pour d’autres enfin, c’est un courant (sociologique) de personnes qui pensent qu’il faut rendre conscients les écarts entre le travail prescrit et le travail réel (cf Christophe Dejours) et la nécessité d’intégrer la déviance dans l’organisation (cf Edgar Morin). En celà il nous semble qu’il est pertinent d’interpeller les organisations (dirigeants, managers et acteurs) pour provoquer un peu de questionnement.
- Sans oublier, la grande masse de Corporate Hackers qui s’ignorent, (et qui s’en fichennt royalement) qui cherchent simplement à faire leur boulot. Déplacez-vous dans les usines, certains se cachent pour régler des problèmes pratiques (et tout cela sous un poster A2 qui promeut le Lean Management!). Pour beaucoup l’innovation, l’intrapreneuriat, la transformation des organisations sont des notions très abstraites.
Ceci dit, nous ne sommes pas des héros ou des surhommes (et femmes). Même s’il est parfois courageux de résister à certains process ou certaines façons de penser.
Il faut en effet bien doser l’aspect politique et savoir travailler “sous le radar” puis se révéler au bon moment tout en ayant bien sécurisé le ou les sponsors.
On peut reconnaître que l’on utilise cette image de super-héros pour se donner le courage de continuer, par humour et parce que l’un des auteurs de ces lignes est fan de comics. On peut aussi avouer que l’image du Super-héros qui dévoile son écusson d’Hacktivateur nous plait bien car elle véhicule l’idée de révélation d’une compétence cachée que l’on peut partager (et surtout arrêter d’en avoir honte). Peut-être en abuse-t-on et reconnaissons que ce n’est en rien une revendication.
Plus sérieusement, si l’on considère comme établi que le Corporate Hacking ne sauvera pas l’entreprise, et c’est le cas de beaucoup d’approches ou de méthodes, que dire à un salarié qui comprend que l’organisation se détruit lentement à cause de ses paradoxes internes : “Attends la prise de conscience de ton top management”? Cette passivité est juste insupportable pour un grand nombre de salariés qui souhaitent aider leurs organisations à évoluer par le Corporate Hacking ou par d’autres voies. Un Corporate Hacker sera proactif pour provoquer cette prise de conscience (par exemple en invitant Philippe S. à faire une conférence devant des managers).
Donc merci à Philippe d’avoir contribué à faire connaître cette dynamique et notre association, ce qui nous a permis d’avoir des débats très intéressants et de clarifier un peu notre approche. Nous côtoyons un bon nombre de Corporate Hackers à l’intérieur et à l’extérieur de l’association et sommes conscients qu’il y a un grand nombre de lectures possibles autour de ce nouveau terme qui est déjà loin de faire l’unanimité.
Si certains se reconnaissent comme Corporate Rebels, Intrapreneurs, Corpo Hackeurs ou Cultural Hacker, un des éléments qui est peut-être Fédérateur, est que ceux sont des gens de bonne volonté qui cherchent simplement à changer de petites choses autour d’eux. S’ils sont acculés à se cacher, à une époque où l’ensemble des entreprises porte comme valeurs l’innovation et l’humain, c’est qu’il y a quelque chose qui cloche dans nos organisations. Ce message nous sommes prêt à le porter haut et fort devant tout COMEX, en nous appuyant sur des exemples concrets naturellement.
Auteurs: Gilles Delaloy, Fabrice Poussière et Dominique Van Deth.
Relecteurs: Aleksandra Jezewski, Olivier Leclerc et Edouard Siekierski .
(1) Voir en particulier les débats autour de la proposition de loi sur le burn out de janvier 2018