Eté 2017. Chez Airbus, comme dans toutes les grandes entreprises, l’été est plutôt calme dans certains secteurs. Pas pour Jean-Albert Brière ! Ce pionnier du Lean Startup, maintenant coach et facilitateur carburant à l’innovation, a une idée. Une idée qui va faire l’objet d’un hack, mais surtout générer un voyage émotionnel inattendu… que Jean-Albert a su piloter grâce à un outil peu connu : la roue des émotions.
Le projet :
L’idée estivale de Jean-Albert consiste à recenser, au sein d’une application mobile, toutes les activités d’amélioration continue du Groupe, quelle que soit leur teneur et leur secteur (des ateliers, à la finance, en passant par les achats etc.) pour les mettre en avant et favoriser la « cross-fertilisation ».
« J’ai eu un très bon retour de mon management après la présentation de l’idée, mais n’ai trouvé aucun écho provenant du reste de notre organisation, j’avais conclu, un peu déçu, qu’elle ne les intéressait pas.» raconte Jean-Albert.
Cependant, il est heureux d’en entendre à nouveau parler à la fin de l’année 2017, sa direction mettant en lumière son idée et la proposant pour aider une fonction de l’entreprise.
Le projet est donc présenté au Board début 2018, avec enthousiasme : « Mais j’en suis ressorti découragé par les critiques, peu fondées à mon sens, de deux managers ».
S’en suit une période de flottement, avant que l’ascenseur émotionnel reparte de plus belle quelques mois plus tard ! Le top management souhaite mettre en suspend la mise en avant des grandes innovations (via des trophées, des awards, etc.) pour valoriser les « petites innovations de tous les jours ». Bingo.
Le projet désormais muni d’un co-pilote espagnol – le dynamique David – et d’un client interne officiel, décolle à plein gaz : un hackathon avec la start-up Nosoft, deux jours de « prototypage rapide », la constitution d’une petite équipe, et… le soufflet retombe. Le client n’y croit plus vraiment, et alterne entre pression excessive (6000 collaborateurs sont concernés à terme !) et désintérêt. « Inutile de vous dire dans quel état nous étions. Mais nous avons gardé le cap, et repris confiance, pour finalement délivrer une version fonctionnelle dans les temps, en 4 mois seulement ! » se félicite Jean-Albert.
Le hack s’est fait en douceur, en mode corsaire plus que pirate, mais sans respecter la totalité des passages obligés des SI de la maison, faute de temps, ce qui causera d’ailleurs quelques frictions rapidement réglées. Il ne reste donc plus qu’à lancer l’application mobile et… patatras. Le client hésite au dernier moment, et fait volte-face : exit l’application, on se contentera de l’intranet.
Un échec ? « Non car le hack a fonctionné, nous avons tenu les délais, tout en satisfaisant l’intégrité de nos systèmes et de nos codes de conduite, et surtout créé de nouvelles connections, entre collègues et avec l’extérieur. De nouvelles compétences ont été acquises, et l’équipe a bien fonctionné. Enfin, nous avons découvert l’intérêt de la « roue des émotions » qui nous a accompagnée et surtout aidé à comprendre nos états émotionnels respectifs, qui viennent à l’évidence impacter le projet » explique Jean-Albert, qui utilise désormais l’outil quasiment au quotidien.
La « roue des émotions » et quelques conseils
Inventée par les professeurs en psychologie Lisa Feldman-Barrett et James A. Russel (USA), la « roue des émotions » dérive de leurs travaux sur la « construction des émotions », publiés en 1999. Il en existe aujourd’hui de nombreuses versions, plus ou moins conformes à l’originale, dont le cadran est découpé en 4 zones : un axe horizontal séparant les hautes « énergies » (en haut) des basses, et le plan vertical partageant les ressentis (les moins agréables étant à gauche). Des sous-secteurs permettent de se positionner plus précisément (voir illustration).

Pour Jean-Albert Brière :
« La roue a d’abord un intérêt à l’échelle personnelle. Se poser simplement la question de son positionnement, disons une fois par semaine, permet de se connecter à ses émotions, à soi-même. Cette courte introspection peut être utile pour son propre équilibre, à l’instar de la méditation, mais permet surtout d’agir en conséquence : en identifiant son besoin profond, en demandant de l’aide, en gérant sa charge de travail, ou encore en profitant des moments d’enthousiasme pour aller solliciter son management et/ou ses partenaires… Bref, en disposant d’une information relativement objective sur ses émotions, on peut construire une sorte de stratégie émotionnelle bénéfique à ses projets.
Côté « projets » justement, la roue est devenue un outil quasi-quotidien pour moi : elle permet à l’équipe de visualiser d’un seul coup l’état émotionnel de chacun, de mieux comprendre l’autre, de savoir ce qu’on peut attendre ou demander, d’ajuster des délais, et éventuellement de repérer un problème récurrent. Concrètement, nous procédons d’abord à une auto-évaluation, qui est ensuite discutée brièvement avec les autres lors d’une réunion de travail. Là, chacun amende éventuellement son positionnement en fonction d’éléments objectifs comme la réaction à un événement, la tournure d’un mail… Il me semble important de viser une certaine transparence sur ce sujet, même s’il est parfois difficile de dévoiler ses émotions. Il faut bien admettre que les émotions sont là, quoi que l’on fasse, qui que l’on soit. C’est une posture trop peu habituelle ou peu valorisée en entreprise. Nous la promouvons via un réseau que nous appelons « Emotional energy@Work », porté par d’autres formidables volontaires.
Pour réduire cette aversion aux émotions, je conseillerais de prendre le parti de partager en toute transparence ses états émotionnels avec les autres acteurs des projets. Certains seront surpris, mais ils apprécieront finalement cette authenticité, surtout si elle est argumentée. Cela permet aussi de mieux gérer les interactions (langage, pression…).
Au final, cet outil apporte beaucoup de simplicité et de bienveillance, des postures bien utiles dans des projets parfois complexes, incertains, ou à fort enjeux. »