« ERP nous a tuer »

C’est par ce clin d’œil que Delphine Desgurse, ex Directrice de l’Innovation Digitale du Groupe La Poste débute l’entretien. Hacktivatrice aguerrie, et désormais cofondatrice de la start-up Cowork.id, elle partage sa vision de l’innovation dans les grandes entreprises. Interview Olivier Barrelier.

Vous avez quitté La Poste … pour une start-up  ! Vous aviez tous les moyens d’innover, de collaborer avec des start-up pourquoi passer de l’autre côté du miroir ?

Parce qu’innover n’est pas une question de moyens mais de capacité à agir, à décider rapidement. Or, plus l’entreprise s’organise, se structure, s’harmonise, moins il est possible d’innover. Les collaborateurs se retrouvent face à une injonction paradoxale : innover tout en respectant des processus stricts et entièrement dédiés à la performance du modèle économique existant. Bilan, l’innovation reste cantonnée à des sujets périphériques… Je n’y trouvais plus mon compte.

On trouve pourtant des départements dédiés à l’innovation dans ces entreprises… sans parler du Corporate Hacking.

Ces départements sont la marque de fabrique du silotage ! Merci d’innover ici. Mais ne débordez surtout pas. En clair, vous pouvez évangéliser, former, expérimenter en enchainant des POC pas trop chers … mais le passage à l’échelle opérationnelle reste très compliqué. Quant au Corporate Hacking, c’est à mon sens devenu un devoir : le seul moyen de compenser la mainmise … des ERP !

Vous avez vraiment une dent contre les ERP ?

En réalité les outils n’y sont pour rien. Ils viennent servir les objectifs d’une organisation qui veut contrôler au plus près son efficacité pour une activité donnée. Avec les SI qui structurent vos processus, plus de marge de manœuvre pour « faire autrement », ce qui est le propre de l’innovation.

Je peux témoigner de l’impact direct et rigidifiant de la mise en place d’un ERP pour la gestion des achats dans une grande entreprise. Du jour au lendemain j’ai non seulement perdu le contrôleur de gestion qui nous accompagnait, mais aussi toute liberté d’achat, même pour de petites dépenses indispensables à notre activité d’innovation comme des abonnements à des services en ligne, des inscriptions à des évènements, des logiciels… Contractualiser avec un prestataire non référencé, ce qui est le cas de toute startup, devient un enfer.

D’où l’émergence de ces pratiques de Corporate Hacking.  Il devient obligatoire de hacker le système achat en passant par des prestataires de services référencés, qui prennent une commission au passage. Un autre exemple de processus efficace pour la marche de l’entreprise mais bloquant en innovation : la sécurité informatique. Impossible d’accéder avec un poste de travail à de nouveaux logiciels sans un lourd processus de validation. Avoir une borne wifi « libre » et/ou des tablettes perso devient incontournable pour travailler.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Précisons d’abord que je comprends tout à fait le besoin et l’intérêt d’établir des processus efficaces et des KPI pour piloter l’activité principale, sans laquelle il ne serait même pas envisageable d’innover.

Mais de grâce, un peu d’air ! Il suffirait de quelques espaces de liberté pour que les graines de l’innovation prennent. Je pratique souvent une analogie entre innovation et permaculture. La permaculture permet de faire pousser des plantes, légumes, fruits différents sur une même parcelle. Cela permet d’avoir une terre beaucoup plus riche, et au global plus productive dans sa diversité.

L’enrichissement mutuel est un élément essentiel des projets d’innovation : d’une conversation inspirante naît une idée, puis un partenaire externe apporte la technologie, puis des compétences internes permettent d’expérimenter sur le terrain …. Or les grandes organisations privilégient l’agriculture intensive !

Il s’avère essentiel de créer des systèmes d’irrigation internes pour nourrir le terrain de l’innovation : fluidifier le partage de compétences, faciliter l’accès via les achats à des prestataires innovants, diversifiés, définir des marges de manœuvre dans les processus que des ERP plus souples pourraient servir.

Il s’agit de donner à tous les moyens d’agir en autonomie et s’entraider comme dans un champ de permaculture, sans plus avoir à hacker. D’ailleurs, je pose moi-même une pierre à cet édifice collaboratif avec cowork.id, une plateforme digitale stimulant l’entraide par le partage de compétences et d’expériences. Je suis donc toujours une hacktivatrice, mais de l’extérieur !

Pour aller plus loin :

Retrouver Delphine en visionnant son TEDx :

« Stimuler l’imagination : la (perma)culture de l’innovation »


Laisser un commentaire